Courir cela rime avec plaisir. Avec mourir aussi me direz-vous. Bah, mourir de plaisir c’est agréable.
Comment expliquer l’euphorie de la course à pied ? Au début, vous avez mal partout, des soucis pour enfiler les entraînements, la volonté de ne pas suivre les plans d’entraînement car vous avez un passé, vous, et avec vous c’est différent, non mais ! Puis il faut l’humilité de se dire que des milliers de coureurs ont un jour débuté, qu’il y avait derrière ces conseils des années d’expérience et que donc, oui, pour débuter il faut y aller calmement.
Jusqu’à en oublier, un jour, que l’on court
Qui ? Quoi?Comment ? Oublier que l’on court ? Non, Aloïs ne vous a pas atteint : un jour vient où le bénéfice des entraînements vous permet de regarder la nature, de bénir les jacinthes des bois qui fleurissent votre parcours, de pouvoir deviser avec votre voisin ou votre voisine et de terminer sans être crevé-mort-foutu !
Ça y est, vous êtes joggeur. Quel pied ! Et du coup la bonne humeur vous guette et cette maladie-là est sacrément contagieuse !
C’est donc le cœur joyeux que vous vous rendez à l’entraînement.
« Alors, Joggy, non seulement tu t’entraînes, mais en plus tu étrennes ce que tu as acheté avec tes étrennes? Pas mal tes nouvelles godasses ! » Inutile de leur dire que mon prénom est Jean-Guy, ils n’en n’ont rien à faire. Que j’ai déjà rodé mes chaussures non plus.
« Eh les gars, on va s’échauffer dans l’arboretum ? Il faut baptiser les chaussures de Joggy ! »
Ben voyons. C’est la coutume, un bon parcours boueux pour que vos chaussures ne soient plus un centre d’intérêt…
« D’accord, Alex, mais c’est toi qui montre le chemin » . Et le groupe de s’ébrouer en direction de cet arboretum. S’ébrouer pour s’ébouer, quel raccourci qui ne manque pas d’air. Le rythme est lent pour le plaisir du babil : ils ont tous une blague ou une anecdote. « Comment est-ce qu’on appelle un chat tout-terrain ? Un cat-cat » Et Albert ronronne de son bon jeu de mot. Etc…
Je regarde une dernière fois mes chaussures bien propres et je m’engage dans l’étroite boucle où se trouve la boue. Au moment de prendre mon élan, le blagueur de service me donne un petit coup d’épaule, rien de bien grave, mais suffisant : je croyais tenir plus longtemps et le splotch de mon pied dans la flaque de boue les rend hilares. C’est fait, ils me laisseront tranquille !
Du coup, mes chaussures glissent : est-ce dû au vaccin antigrip ? Et les voilà qui décident d’escalader une sacrée pente, ces sacripants ! Devant moi, je vois des hanches au plus haut d’essieux. Et me voilà à gamberger alors que mon cœur s’accélère. C’est là que les kilos surnuméraires me rappellent qu’il faut continuer à s’entraîner sinon le groupe se reforme mais qu’avec l’âge les formes se regroupent.
Mon éboueur s’ébroue sur la crête, un large sourire sur son visage :
« Ça glisse, Joggy ? »
« Oui, sur la carapace de mon indifférence »
Ah, les joyeusetés de la vie en groupe, mais un groupe bien sympa !
J. Air