2. Joggy revient

Arrivé sur le parking de chez Taurine, l’établissement qui leur sert de tanière, je retrouvai tous ces athlètes. Difficile de leur donner un autre nom, mes capacités en matière de course à pied progressent, mais je ne leur arrive pas encore à la cheville. C’est un sacré défi de se lancer avec eux dans le bois de la Houssière.

– Bonjour Marcel ! Bonjour Willy ! Bonjour Serge ! Bonjour… !

De jolies joggeuses. J’ai vu qu’ils faisaient la bise, donc moi aussi je bisoutai ces dames. Et que continue la ronde des salutations ou des bisous. Et à voir ces amatrices de course à pied, je n’eus plus aucun doute quant à l’origine du terme « peloton » pour désigner un ensemble de joggeuses !

– Alors, Joggy, tu es en forme ?

– Toujours quand je suis à l’arrêt Jacques, lui répondis-je. Et mon prénom c’est Jean-Guy… tentai-je.

– Ah, mais tu ne vas pas changer de nom à chaque fois que tu viens quand même. La prochaine fois ce sera Jean-Guignol, la suivante Jean-Guiguinemonmonde ! Non, non, Joggy, cela te va très bien.

– Va pour Joggy alors ! dis-je.

Voilà comment on vous colle un surnom idiot. Surnom, surdité : cela commence de la même façon et dans les deux cas, la déformation de la réalité devient la réalité. Vous suivez ?

En tout cas, en jogging, il faut suivre. Mets un pied devant l’autre, disait Jean-Pierre Mader dans sa chanson. Je m’appliquai à suivre l’adjonction madérienne. Tiens, est-il né dans la Drôme Mader ? Ce serait amusant. Un cerveau oxygéné, cela fonctionne mieux. Mais si je délire dès les premiers mètres, qu’est-ce que cela va donner dans un kilomètre…

Toujours le blabla du début. Tout le monde est joyeux, les nouvelles s’échangent, les matamores se pavanent, la cadence devient homogène, les exhalaisons s’accordent en un rythme toujours plus élevé… Un peloton, tient un peu de la locomotive à vapeur. A l’arrière, au niveau énergie, je suis déjà comme la ville espagnole : sans tender. Tiens c’est bizarre. Je suis le train imposé par le groupe. Sans doute la dernière pelletée de charbon…

Quelle débauche d’énergie ! Un joggeur a besoin de 90 ml d’oxygène par minute par kilogramme, ai-je lu. J’essaye d’évaluer combien de litres d’air passent par mes poumons. Les chiffres s’embrouillent. Je pose 7 et je ne retiens rien…

– Tu as de nouvelles chaussures Joggy ?

Voilà autre chose ! J’ai commencé la course à pied il y a peu ! Que croit-il ? Que j’aurais pu acheter ma paire d’occasion sur le web ? Il a l’air sympa, j’ai oublié son prénom..

– Oui ! Et elles sont très confortables. Tu crois que grâce à ça j’irai plus vite ?

– La vitesse, c’est une chose sûre, ne doit rien à la godasse, me dit-il avec un faciès coupé en deux du bon mot. Hilare, il ajoute : « Sinon Marcel aurait une nouvelle paire à chaque entraînement ! »

Ledit Marcel, un astronome m’ont-ils dit, réagit avec bonhomie :

– Mais je devrais courir pieds nus pour que tu puisses me battre en compétition !!

En tout cas, ce n’est pas moi qui vais faire une compétition : je suis en effort maximal et ils appellent ça l’entraînement. L’entraînement, quel bête nom : nous ne sommes ni lents, ni en train de traîner. Toujours cette influence de la locomotive sur mon cerveau, sans doute..

Le grand mince sec, sans graisse à porter, déclare : « Aujourd’hui, on fait de l’intervalle ». Jacques, qui n’a rien de Brel, vient à ma hauteur :

– Tu connais l’intervalle, Joggy ?

– Je connais Intervilles, le mot intervalle, mais pas l’intervalle. Entre nous, tu me diras bien ce qu’est l’intervalle ?

– Une alternance de courses rapides et de courses lentes, sur une base que l’on détermine : le temps ou des repères.

– Ah ? Et quand ralentit-on ?

Je n’aime pas quand ils rient comme ça. Pas du tout !

Et cela n’a pas tardé ! Paf, les voilà partis pour quatre minutes rapides, moi qui étais à fond ! « Après, on ralentit pendant 3 minutes »… On ne les entend plus babiller et les voilà qui s’éloignent. J’accélère quelques centaines de mètres, mais c’est impossible à tenir. Tiens, je reprends sur eux. Normal, il y a sans doute 4 minutes qui sont passées. Je vais essayer de prendre de l’avance.. C’est comme pour la floche à la kermesse : juste quand tu crois que tu vas l’avoir elle s’éloigne. Impossible, ils repartent et repartent.. Cela a duré tout l’entraînement, j’ai dû rester à fond pour pouvoir les suivre. Sans jamais m’en approcher vraiment.

Arrivé sur le parking, ruisselant, éreinté, mais comme la salle : pas perdu, je n’étais capable que d’écouter leurs commentaires. Si reprendre son souffle c’est aspirer l’air que l’on vient tout juste d’expirer, alors je reprenais mon souffle. Je crois qu’il entrait plus vite que je ne le faisais sortir… Le bœuf et l’âne gris pouvaient bien se tenir !

– Tu as bien suivi pour l’intervalle, Joggy !

Il n’y avait pas eu d’intervalle, seulement une longue course au sommet de mes possibilités..

– Viens-tu prendre un pot ?

– D’accord. Je vide un abreuvoir et j’arrive.

Chez Taurine, gueuze, joyeuses joggeuses, tasses de café fumantes : là, il était possible de suivre… Pour certains sports il y a les troisièmes mi-temps mais en jogging ce ne sont que des secondes mi-temps !

J.Air

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