6. Joggy verdit

L’hiver le bois boueux bruisse sous la brume, obligeant le joggeur à frapper le bitume ou lorsque la rare neige floconne en nos contrées, la course silencieuse ou bien qui crisse est rendue difficile par les pièges du hors-piste.

Quand l’heure d’hiver quitte notre quotidien, la beauté du bois se pare de vertes couleurs ou tout au moins les prépare. Difficile à expliquer : l’air est différent ! Oui, je sais, la photosynthèse et que ci et que ça. N’empêche, il fait bon jogger dans le bois, que le loup y soit ou pas. Verdi a magnifié les quatre saisons, mais les joggeurs n’y vénèrent que le printemps ! Le bois vert insuffle la bonne humeur ! Le trouvère reverdit.

« Joggy, dès le retour de l’heure d’été, nous reprenons nos entraînements, au bois, en semaine. As-tu sorti tes tenues de leurs housses hier ?»

Comme je suis le petit nouveau, ils me maternent bien gentiment. Seul mon prénom les gêne. Visiblement Jean-Guy ne leur convient pas. Il faut croire qu’ils n’apprécient que les traits d’humour et pas les traits d’union.

« Ce n’est pas difficile de mémoriser le changement d’heure : l’heure d’été, Alexandre ne vient pas courir, le jour du passage à l’heure d’hiver c’est la seule fois où il est en avance »…

Nous voilà dons revenus sur des trajets forestiers. Sentier du dimanche, te voilà foulé le mardi. Taïaut. J’ai passé l’hivereu, lalalilalèreu. Incroyable. Sentir son corps en harmonie avec la nature, pouvoir enfin courir sans se rendre compte que l’on fait un effort, jogger en parlant, voler en courant.. Oui, c’est l’euphorie du printemps. Revenons les pieds sur terre battue mais pas vaincue.

Ils accélèrent le rythme. Comme les indiens, à la queue leu leu, nous voilà sur le sentier de naguère reprenant les codes forestiers. Là on accélère, ici on décélère, repos par-ci, ombre par-là, soleil, jacinthes des bois (en patois de vesnau on dit des « clés de bois »).

La température montant, les tenues raccourcissent. Le seul avantage de l’été, c’est de laisser les thermes aux maîtres d’écoles. En avril, montre ton nombril, en mai rien ne nous déplaît !

On reparle compét’, on se trouve des illogismes : vouloir aller faire les 20 de Bruxelles, nous les hommes des bois. Mais des citadins viennent faire la «Thoracique de la Houssière », donc tout est dans l’ordre.

Le peloton s’étire au printemps, tel le chat qui s’éveille. Sérotonine, pas de dopamine (personne ne s’appelle amine dans le peloton), taurine peu importe laquelle de ces molécules fait gigoter nos neurones, le fait est là : la belle saison nous rend fébriles.

C’est aussi la découverte de surprises. On ne parle pas de tout cela dans les salons littéraires ou dans les émissions sportives : les blessures de reprise aux cuisses : gerçures, zones qui n’étaient plus soumises au frottement sur le haut des cuisses : ces petits saignements sont parfois douloureux. Mais qu’importe !

Plus question de voir les biches (oui, on le sait bien que la femelle du chevreuil est une chèvre, mais cela ne la fait pas de rentrer chez soi et dire « J’ai vu des chèvres dans le bois »). Donc les bichettes deviennent invisibles : le couvert végétal qui revient en est responsable, mais surtout la voix de stentor de Jésus, le rire de Marcel ou de Valeria, la voix peu fluette de Jacques : le babil du printemps fait fuir le gibier !

Qu’à cela ne tienne, les oiseaux chantent, les écureuils remontrent le bout de leur nez. Et la course à pied dans tout cela ?

Et bien, au bout de 5 km, on ne s’aperçoit toujours pas que l’on court ! Pas de transpiration excessive comme en été, pas de frisson d’hiver : non, les coureurs sont en harmonie avec le climat, avec la nature.. Ne peuvent comprendre que les fouleurs de sentiers, que les ardus de la semelle. De quoi on s’mèle ?

Il fait toujours beau dans le bois. Le microclimat ? (le climat d’un micro, on connaît : c’est humide vu qu’il ne reçoit que des postillons…) Allez savoir…

Les projets prennent naissance avec l’oxygénation des cerveaux. Vacances, boulot, travaux. Tout prête à discours : Marcel compare le tapis roulant de sa salle de sport avec les sentiers, Danielle analyse la grosseur évolutive des racines d’arbres, Micky oublie qu’il risque plus de se blesser en courant dans le bois qu’en restant assis dans un fauteuil, tout le monde parle et revit. On ne parle d’hiver, mais on verdit.

Le peloton se féminise aussi à la sortie de l’hiver. Et pas question de dire que l’on « fait court » aujourd’hui ! Que nenni : elles sont acharnées sur les distances !

Les circuits changent parfois, suite à des découvertes : c’est au printemps que tout se passe. Un passionné pensionné mesure tout à la roulette belge : la roulette russe, tu as une chance sur six de perdre, la roulette belge, un pourcent… d’erreur. Marcel trouve normal que l’on vende un appareil de mesure très précis avec un pourcentage d’erreur. C’est comme si on vendait un piano avec un certain nombre de touches véreuses ! Mais quand on a couru 11km513m, c’est vrai que cela sonne faux. 12km est plus vraisemblable !

J. Air

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