1. Joggy débute

Aujourd’hui c’est dimanche. Sur l’autel des bonnes intentions, j’ai décidé que j’irai désormais jogger en forêt.

Près de chez moi, le bois de la Houssière est un vaste et ravissant espace vert, avec les couleurs qui changent à la belle saison et tout et tout… Le problème c’est que les circuits changent aussi…que rien ne ressemble plus à un sinueux sentier qu’à un cosinueux sentier. Je pris la tangente et me suis dit que j’irais courir avec le groupe aujourd’hui, pour découvrir leurs parcours…Le novice que je suis se présente au groupe…

Un sentier du bois

– Comment t’appelles-tu ? m’a demandé un grand chauve.

– Jean-Guy ! lui ai-je répondu .

– Ça alors, c’est amusant comme surnom, Joggy !

– Non, pas Joggy, Jean-Guy !

Peine perdue, il ne m’écoutait déjà plus.

– Eh les gars, le nouveau s’appelle Joggy !

– Heureusement qu’on ne joue pas aux boules… dit l’un.

Depuis lors, on ne m’appelle plus que Joggy. Certains nouveaux disent Jordi. Je préférerais, mais les autres corrigent toujours.

– Tu vas voir : c’est un tour entièrement dans le bois ! Ce qui compte c’est de partir lentement et d’accélérer progressivement. Le truc c’est de savoir si tu sais encore parler. Alors, c’est que tu es dans le bon !

Ils sont sympas. Mais je crois que la partie lente a duré 10 mètres. Ils parlaient, riaient, disaient que Marcel était un coureur au fond, que les fougères nourrissaient ses fantasmes et que la petite côte nous ferait du bien. Pour ce qui était de courir à l’économie, c’était de paroles dont j’étais économe !!

Si j’avais des doutes sur la présence d’un cœur dans mon corps, je n’en avais plus ! Impossible de compter les pulsations, c’eut été comme de compter les balles qui sortent d’une mitrailleuse ! Par contre, je me suis vite rendu compte que le sport faisait transpirer…

La côte. Certains ont envie de passer les vacances à la côte. Ici, c’est une course de côte. Je ne sais pas s’ils ont accéléré ou si c’est moi qui ai ralenti, mais j’avais beau pousser sur mes jambes, le dernier du peloton me distançait ! Les tempes qui battent, le souffle qui manque : c’est quasi asphyxié que je suis arrivé au dessus.

Et en haut de la côte, plus personne ! A gauche : le bois, à droite : le bois, partout une végétation dense. Quand on ne sait pas, on va tout droit, me suis-je dit. Allons-y Alonso comme le disait l’ex-champion du monde et me voilà parti.

En 300 mètres, j’étais hors du bois… Aïe. Tout droit comme à droite on ne voit que la campagne : allons à gauche dès lors…

Un chemin repart dans le bois et j’entends des voix. Jeanne voulait bouter les anglois, Jean voudrait retrouver les joggois. Et comme de fait, les voilà. Ils me passent petit à petit. Jusqu’au grand chauve, pas un mot.

– Eh bien Joggy. Tu as passé la Grosse Bertha ?

– Euh, non… Je n’ai vu aucune dame.

Ils ont bien ri. Comment aurais-je pu savoir que la « Grosse Bertha » était le nom donné à la côte qui fût mon calvaire ?

– Tu cours sacrément bien en tout cas. Je n’avais même pas vu que tu étais devant !

Oui, je sais, c’est malhonnête. J’aurais dû lui dire que j’avais coupé, que j’étais dernier, que j’étais perdu… Mais non, les paroles se sont enfouies dans les profondeurs de mon cerveau déconnecté, se sont enfuies devant la longueur de la phrase qui eut été nécessaire à l’exprimer. D’ailleurs, le rythme était déjà redevenu si élevé que je n’aurais plus rien su dire sans rendre l’âme…

Le petit répit que ma perte de trajet m’avait octroyé fut vite oublié. Les stakhanovistes du battement de semelle ont rythmé la cadence avec la vive vivacité des vétérans véloces qui m’entouraient.

Les cheveux aplatis par la transpiration, les yeux piquants de sueur, je regardais défiler les troncs communs que sont les hêtres qui peuplent le bois. Proche du délire, j’entendis dans un semi-coma, qu’à gauche on pouvait rejoindre le parking. Usant d’un prétexte qui ne fut sans doute audible de personne, je bifurquai. Une route qui se divise en deux et qui commence par bi est une …bifurcation. Elle était en pente douce : quelle volupté de courir seul et au ralenti…

Pendant quelque dizaines de minutes, mon cerveau m’avait déconnecté des soucis de la vie quotidienne et m’avait fait prendre conscience que j’avais des muscles.

N’empêche, la prochaine fois, je ferai 100 mètres de plus avec eux !

J.Air

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